dimanche 26 juin 2016

Il est de retour, par Timur Vermes, éditions Belfond

Il se réveille en 2011 au beau milieu d'un terrain vague de Berlin. C'est lui dans toute son allure et sa pensée, Adolf Hitler, sauf que les gens qui le rencontrent ne le croient pas trop. Or, lui, c'est le pragmatique par excellence: il n'est que ce qu'il est il trouve aberrant qu'on ne le prenne pas au sérieux. Or, le fil de ses rencontres le mènera vers une équipe de télévision qui verra en ce personnage si bien interprété (on le prend pour un comédien), un filon fort exploitable. Dans ce milieu, Hitler trouvera le respect dont il a besoin pour reprendre sa carrière là où il l'a laissée en 1945.

Fallait le faire, c'est indéniable. Bien raconté, Il est de retour est un livre intelligent. Facile? À première vue, je dirais oui, mais il y a quelque chose là qui porte à réflexion. Le livre contient plusieurs scènes où des gens "embarquent" dans le personnage Hitler. Parce que le personnage est connu, bien sur, et la publicité qu'on lui fait est à préparer avec beaucoup de précautions. Or, on dirait que l'époque s'avère propice pour son exploitation. La question qu'on se pose c'est: ah oui, vraiment? La réponse vous appartient. Quant à moi, ça m'effraie.

Si ce livre est d'abord une critique de la société allemande, on ne l'a pas traduit pour rien, puisqu'il rejoint tout le monde. Ça ramène n'importe quel pékin de ce siècle à ce qui est en train de lui arriver, au siècle. Brillant, l'auteur laisse planer un air de jemenfoutisme tout au long de son livre, sauf pour certains, motivés par des visées d'affaires. Si les politiciens ont l'air assez inoffensifs, les faiseurs d'images et les animateurs télés y prennent beaucoup de place. Pendant que la populace laisse aller et que les personnages publics privilégient leurs intérêts personnels et leur image aux détriments du bien commun, d'autres en profitent pour combler le vide en procurant du divertissement dont le but avoué est de se remonter le moral en se moquant des autres. Au bout du compte, l'argent l'emporte bien avant les idées.

Bien traduit, le livre est raconté au "je". C'est Hitler en personne qui raconte ses aventures, tantôt avec perfidie, tantôt avec lucidité. Divertissant, il contient certaines scènes assez épiques comme par exemple, Hitler qui va rencontrer les "dirigeants" d'un parti d'extrême-droite en les engueulant comme c'est pas permis. D'autres personnages valent eux aussi leur pesant d'or, dont sa secrétaire, dont les services sont offerts par la maison de production qui a fini par embaucher Le "comédien" Hitler.

Il est certain que l'auteur nous communique son idée à lui du personnage. On en fait ce qu'on veut. Donner la parole aux morts, en fonction de ce qu'ils ont été, est un peu comme de continuer un tableau qui était pourtant terminé. Pour ne rien gâcher, on en conserve le style, oui, mais le résultat est-il vraiment ce que l'auteur original aurait créé? À chacun de s'en faire une idée. Ne serait-ce que pour ces réflexions, ce livre vaut la peine d'être lu. Si le personnage est historique, le récit, lui, est vraiment de notre époque.

Ah, et pour ceux que ça intéresse, devant le succès du livre, on l'a adapté en film, Er ist wieder da. Sorti en 2015, en voici une bande-annonce d'un peu plus d'une minute (en allemand). Ça donne une bonne idée de l'ambiance.

mardi 21 juin 2016

L'angoisse du paradis, par Yann Fortier, éditions Marchands de feuilles

C'est l'histoire d'Ivan Zolotov, un citoyen soviétique "bien ordinaire" né et grandi dans la ville de Gorki, ex et future Nijni-Novgorod. Dans une des premières scènes du livre, le jeune Ivan, 10 ans, a réussi à convaincre de son père d'aller au parc d'attractions local pour monter dans la fameuse Terreur de Gorki, une montagne... russe. Son père, un ouvrier "bon employé" d'une méga-usine locale qui fera sa place dans la hiérarchie de l'entreprise, réussit à s'esquiver au moment de monter dans cette chose qui le terrorise. Le tour du petit Ivan dans les montagnes russes est épique. On monte avec lui, on descend, on remonte, sa voisine crie à s'en fendre l'âme puis, quelque chose arrive et on se dit: ok, ce bouquin-là ne sera absolument pas ennuyant.

Et c'est ainsi que s'étale la vie d'Ivan Solotov, à coups de scènes incroyables vécues dans son enfance et sa jeunesse soviétique, puis, plus tard, dans sa vie post-soviétique où une carrière de spécialiste de l'histoire... soviétique l'amène à voyager de par le monde. On va de scène en scène avec la même délectation que dans les montagnes russes. Le ton est celui d'un conteur. À peu de choses près, on est presque chez Jean Échenoz.

Ce premier roman donne le goût d'un second. L'histoire ici dépeinte est celle d'une époque et d'un lieu, la fin du communisme et la Russie, qui n'ont rien de banal mais auxquels on a presque toujours donné une teinte plutôt grisâtre. Les histoires rocambolesques du personnage donnent une toute autre couleur à l'ensemble. C'est comme si on avait recréé un décor à l'image du personnage, comme si on avait décidé de donner de grands coups de pinceaux à une scène terne parce qu'un certain bonhomme y évoluera. Pas que ce soit drôle, enfin, pas seulement, parce qu'en certaines occasions, on ne peut que s'esclaffer. Mais il y a aussi plusieurs choses dans cette histoire qui nous font nous demander quelle est notre place dans le monde, aussi modeste soit-elle. Comme Zolotov, qui traverse continents et situations bizarres avec une naïveté souvent déconcertante, on finit par se rendre compte que eh, nous aussi on fait l'Histoire. Chacun à notre façon, comme lui, finalement.
L'angoisse du paradis de Yann Fortier donne aussi son opinion sur ce que devient le monde, et ce particulièrement à la fin où un des derniers chapitres donne place au monologue d'un personnage qui, du Nijni Novgorod où il n'est jamais sorti, s'étend, du haut de ses 90 et quelques années, au début des années 2000, sur la société de consommation dans laquelle son monde est tombé. Ces quelques pages surprennent par le ton différent du reste du livre, comme si l'auteur avait tenu à glisser, dans son histoire complètement divertissante, une critique sociale "obligée", quelque chose qu'il s'était dit qu'il publierait coute que coute. Cette portion du livre est un peu comme si son roman devenait prétexte à y insérer un pamphlet. J'avoue que ça déstabilise, comme si on interrompait un film de Chaplin pour un cinq minutes de messages "retenus et payés par le gouvernement national".

Mais outre ce pamphlet dans le livre, L'angoisse du paradis permet d'espérer un autre ouvrage d'un auteur à l'écriture fleurie et à l'imagination vraiment étourdissante, dans le meilleur des sens.

Vivement d'autres personnages de beaux fous comme ceux-ci. Ah... et mention honorable à la couverture superbe et au format tout en longueur, étroit et extrêmement de cet autre livre des Marchands de feuilles, qui avait déjà frappé fort avec La femme qui fuit.