mardi 22 avril 2014

La déesse des mouches à feux, par Geneviève Pettersen, éditions Le Quartanier

Vous avez peut-être déjà vécu la situation: vous êtes en voyage, loin, dans un pays où on ne parle pas votre langue. Les risques (ou les chances, c'est selon...) de tomber sur quelqu'un combinant votre langue et son accent en cet endroit vous semblent très faibles. Or voilà, au bout de quelques jours, ça vous arrive, vous entendez des mots et un langage connu. Mi-touché mi-fier, vous vous dirigez vers la personne en question. Elle s'étonne aussi, il ou elle vous sourit, vous parlez, l'instant est heureux.

Voilà l'histoire de ma rencontre avec la Déesse... Mais poussons l'anecdote un peu plus loin.

Il y a quand même plusieurs jours que vous êtes partis. Depuis longtemps, vous lisez et vous exprimez dans une autre langue que la vôtre, et ces sons qui résonnent dans la bouche d'un autre vous font réaliser qu'il serait doux, voir reposant d'enfin parler un peu votre langue. Alors vous vous intéressez à l'interlocuteur en question. Au début, vous vous trouvez des références communes, rapidement, vous les exprimez, ensemble vous étalez des clichés bien de chez-vous et bien entendu, vous riez. L'autre vous est sympathique, cette rencontre vous fait du bien.

On est toujours, là encore, dans ma relation (si je peux dire) avec La déesse... après quelques pages.

Puis, au fil de la conversation, vous vous apercevez que cette personne, bien que de la même langue et de la même culture que la vôtre, a ceci de tellement typé qu'elle évoque pour vous les traits les plus tant et tellement caractéristiques de ces gens que vous connaissez (trop?) qu'au bout du compte, l'autre commence à vous agacer. Vous ressentez un malaise que vous cherchez à ne pas lui montrer parce que malgré tout, vous riez bien en sa présence et sa langue vous est toujours aussi douce puisque c'est la vôtre. Mais pourtant, à force, vous voyez ben que malgré les expressions communes, son fond, que vous connaissez trop bien, vous déprime quand même un peu, et vous vous dites que si les gens qui vous entourent comprendraient ce qu'il ou elle vous raconte, au bout du compte, vous auriez honte.

Tout ça pour dire que...

Le Français est ma langue maternelle. Cette langue, on le sait, possède la particularité de différer entre l'écrit et le parlé. Le Français écrit n'a pour moi rien de particulier. C'est une langue internationale comme toutes les autres. J'en suis fier lorsque la compare aux autres. Quant au Français parlé, il est divers. Au seul endroit où j'habite, il prend des sonorités différentes au fil des kilomètres. J'en suis fier de temps en temps, j'en ai eu honte longtemps. Je le parle moins du fait que je n'habite plus son pays, sa région, sa maison.

Au Québec, on a vu, au fil du temps, des auteurs donner à la langue d'ici ses lettres de noblesse en l'écrivant. Ancienne dans sa forme orale, la langue semblait renaître par l'écrit. On en a retrouvé une certaine fierté. Depuis ce temps, des auteurs continuent à saupoudrer ici et là quelques écrits d'expressions ou de mots locaux. Les Acadiens sont sans doute ceux qui sont allé le plus loin en mettant leur accent par écrit. Mais les régions Québécoises, elles?

Jamais, jusqu'à Geneviève Pettersen, n'avait-on écrit tout un livre en "Saguenéen". Voilà, c'est fait. J'ai reconnu la voix, alors j'y suis allé. Avec elle, j'ai d'abord beaucoup ri puisque c'étaient mes mots, mes expressions que je retrouvais se distinguant du Français écrit que je lis depuis si longtemps. J'ai même ri aux larmes de lire, à la virgule près, une musique aussi fidèle. Franc avec vous, il fallait le faire.

Or, à force, même si la voix me plaisait toujours, cette narratrice s'est peu à peu révélée. Je l'ai découvert. Et plus elle se racontait, plus j'ai ressenti un malaise. Je me disais que si quelqu'un avait lu ça en même temps que moi, il m'aurait posé des questions auxquelles je n'aurais pas aimé répondre. Est-ce que des filles de 14 ans, à Chicoutimi, étaient vraiment de tels monstres d'égoïsme en 1995? Le sont-elles toujours? Est-ce que des parents peuvent aller à un tel niveau d'irresponsabilité poussé par un égocentrisme, pour eux aussi, aussi incroyable? Est-ce que les gens de cette région étaient (et sont toujours) d'aussi pathétiques clichés de campagnes de marketing, d'une société de consommation facile, sans saveur, sans envergure, qui ne les pousse qu'à se demander si telle ou telle personne les aime ou pas, et rien d'autre? Où réside la fierté de ces gens, si d'aventure ils en possèdent encore une

Et en fin de compte, comme cette jeune fille qui se raconte dans ce livre, tout est-t-il vraiment aussi trash à Chicoutimi? "Trash" est-il le bon mot? J'en étais à ces réflexions lorsque les dernières pages sont arrivées, rapidement. Le livre se termine sur un pont à l'été 1996. Tout résident du Saguenay saura de quel contexte il s'agit.

Geneviève Pettersen n'avait pas besoin de terminer par cette métaphore. On avait déjà compris combien son livre est un tour de force et que son audace va bien au-delà de son écriture. Tout y est: tant ce qui coule que ce qui permet de garder la tête hors de l'eau, tant la ville et ses esprits étroits que le bois et ses espaces de liberté. Ma foi, c'est finalement très Saguenéen tout ça.

Mais que vous parliez Saguenéen ou pas, vous reconnaîtrez là quelque chose qui ne ressemble à rien, et c'est pour ça qu'il vous faut le lire. Être chauvin, je parlerais d'un grand livre.

dimanche 20 avril 2014

Le sermon sur la chute de Rome, par Jérome Ferrari, éditions Babel

J'ai de plus en plus la preuve que je ne dois pas me laisser berner par le titre. Celui-ci ne m'attirait pas non plus. Et on dira ce qu'on voudra, bien qu'il ne s'agisse que d'une fraction infinitésimale d'une oeuvre, le titre fait quand même figure d'enseigne, ça peut quand même attirer. Ici, ça avait quelque chose de docte, d'un peu trop vieille philo. C'était bien le cas, pour le fond. Mais pour la forme... on est en plein dans ce siècle.

Tout se passe autour de deux amis d'enfance qui reprennent le bar du petit village corse où l'un d'eux est né, et où l'autre a passé ses vacances toute sa vie durant, ses parents étant originaires de l'endroit. Pour le premier c'est une installation définitive, pour l'autre, un retour. En fait, les deux reviennent après des études en philo à Paris.

Les deux sont Corses sans l'être, un par adoption, l'autre par le sang. En parallèle à l'histoire des deux garçons, il y a celle du grand-père de l'un d'eux, un genre de survivant du dernier siècle, une espèce de modèle qu'on n'aurait pas voulu suivre mais dont la vie d'infortunes semble avoir tracé la voie aux autres. Et il y a aussi Saint-Augustin et son Sermon sur la chute de Rome. Vous n'en aviez peut-être jamais entendu parler avant, moi non plus. Ne vous en faites pas, vous le comprendrez. Ce fil conducteur vous aidera, comme toute pensée philosophique, à vous faire une opinion des portraits qu'on est en train de vous dépeindre. Quelle superbe idée.

La question qui se pose, pour tous les personnages du Sermon... est de savoir s'ils ont fait les bons choix de vie. A-t-on vraiment le choix? Qu'est-ce qui motive nos choix? Nous mêmes? La famille? La pression sociale? Le destin?

Ces Corses, qu'ils le soient à 100% ou par adoption, donnent l'impression d'être emportés par un courant plus fort qu'eux. Ferrari nous les montre tels qu'ils sont, assez crument. Ce sont fondamentalement des êtres bons, dirait-on, résiliants, déterminés, mais dotés d'une faiblesse commune qu'on arrive mal à définir, un genre de guigne ambiante. En fait, cette histoire nous fait nous demander s'il n'en va pas des peuples comme des individus: certains ont eu plus de chance que d'autres, certains ont eu plus d'argent, de meilleurs parents, une meilleure éducation... Et si on ne possède que des parcelles de tout ça, à moins d'être plus forts, plus déterminés, plus résiliants que les autres, on risque de finir plutôt mal, comme certains personnages. Et tristement, on dirait que ceux qui s'en sortent le mieux sont ceux qui quittent le navire...

Jérome Ferrari a l'écriture proustienne. Une phrase peut facilement faire une page entière, voir deux. C'est un genre de prose qui me fait parfois avancer plus difficilement. Or voilà, peut-être était-ce voulu, parce qu'au bout d'une dizaine de pages, j'étais complètement subjugué. Faut dire que le livre commence fort en mettant la table avec la description absolument formidable d'une image du passé. On s'apercevra plus loin que même si on prétend souvent le contraire pour toutes sortes de raisons, rien, au final, n'a vraiment changé. Pas dans le monde ce des personnages, en tout cas.

Plutôt sombre, le Sermon... comprend quand même des personnages lumineux mais surtout, une force d'attraction incontestable. Je l'ai assimilé en quelques heures et si vous êtes dans les bonnes dispositions pour le faire, je vous souhaite une aussi grande expérience de lecture que la mienne. De toute évidence, l'Académie Goncourt (prix remis en 2012) fait de bons choix.

Une grande oeuvre.

mardi 8 avril 2014

Canada, par Richard Ford, éditions Boréal

Un couple américain des années 60. Il a fait la 2e Grande guerre et travaille maintenant pour l'armée. Elle est fille d'immigrants juifs. Ils se rencontrent, baisent, elle devient enceinte et accouche de jumeaux. Une famille est née.

L'armée les fera déménager souvent à travers les US. Jamais ils ne s'installeront vraiment à quelque part. Elle s'en fout. Enseignante, elle n'est pas sociable et ne se mêle pas aux autres. Lui est affable, débonnaire et est bien partout. Ils sont aussi opposés que l'est et l'ouest. Ça paraîtra. Avec le temps, ils s'endureront de plus en plus difficilement. On les retrouve dans une ville du Montana. Les enfants ont 15 ans, un garçon et une fille. C'est le garçon qui raconte l'histoire, et celle-ci se passe en deux temps.

D'abord, une situation foireuse entraine les parents, des personnes on ne peut plus normales, sans histoire, banals, à braquer une banque. La situation qui les y mène, l'histoire même de l'événement et sa fin pathétique sont carrément hypnotiques. Vu d'un garçon de 15 ans, tout est pragmatique, rien ne se discute, tout ce qui est se doit d'être. Aussi est-ce sous cet angle qu'on voit se préparer quelque chose d'improbable. Sous le regard sans filtre du narrateur, on voit cette famille foncer droit sur un mur, et c'est fascinant.

Ensuite, la suite des événements fait que les quatre membres de la famille sont séparés. Si on peut facilement imaginer ce qui arrivera aux parents, on ne voit pas trop ce qui arrivera aux enfants. Alors Richard Ford porte notre attention sur un seul, le petit garçon, qu'on fera traverser la frontière et qu'on installera dans une petite bourgade de Saskatchewan. Si le décor est terne, les personnages qui l'entoureront ne le seront pas. Du long fleuve tranquille qu'était son enfance, après la brusque chute, survient un monde tout droit sorti d'un film de David Lynch. Et comme le Prairies, la vie se passera platement. Le petit bonhomme découvrira un monde qu'il n'avait pas envisager fréquenter, jusqu'à un aboutissement surprenant.

La traduction de Josée Kamoun est excellente, rare, même. Vrai qu'il y avait longtemps que je n'avais pas lu un roman américain dans sa version traduite, mais bon... On en a vu de mauvaises traductions... Les mots utilisés par Ford sont simples, sans fioritures, voir même assez secs. Il n'y a rien là de superflu, d'où le côté hypnotique qui m'a d'abord charmé pour la première partie du livre. Ensuite, une fois rendu au fameux Canada, je me suis perdu un peu. Peut-être est-ce l'immensité du territoire, la linéarité du récit, je ne sais pas. Reste que la fin est réussie. Ford ferme cette histoire de possibles, de déceptions et d'apprentissage dans le décor du Détroit de 2012. S'il est vraiment choisi, si c'est vraiment ce que je pense, on a là un grand livre qui suscite la réflexion. Je serais tenté de remplacer la famille dont il est ici question par toute une civilisation. C'est le genre de métaphore qui me plairait.

Canada est un livre qui demande votre attention. Pas facile, pas difficile, fascinant et glissant, c'est une expérience de lecture pas banale pour qui aime l'action lente, mais précise.