mardi 17 janvier 2012

La tristesse des anges, par Jon Kalman Stefansson, éditions Gallimard


Bouleversement dans la vie du blogueur. Épisode majeure lorsque votre étoile change. La mienne me suivait depuis une bonne quinzaine d'années. Elle était italienne, ses planètes alignaient les Soie, Océan Mer, Châteaux de la colère, etc. J'aime encore Barrico, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Toutefois, maintenant, je ne vois pas qui pourra mieux me rejoindre que Jon Kalman Stefansson. Après deux livres, je ne puis dire combien il est grand. Il est juste trop près de moi pour que je le sache précisément.

J'ai d'abord lu Entre ciel et terre il y a presque deux ans. C'était un été de canicule. Je n'en revenais pas, tant du temps que je vivais que de ce que je lisais. J'en ai déjà parlé sur ce blogue. Puis je suis allé en Islande. Une fois rendu là, j'ai constaté que c'était un livre qui m'y avait poussé et que c'était bien.

Ce second titre de l'auteur islandais n'avait pourtant rien pour me plaire. Vous savez, moi, les anges, le New Age, la dentelle... pas trop. Mon libraire m'a simplement dit que c'était meilleur qu'Entre ciel et terre. Je trouvais son engouement justement un peu trop... trop. Maintenant, c'est moi, sans doute, que vous trouverez trop... trop.

Les personnages qui terminaient Entre ciel et terre sont réunis là où on les avait laissés, avec "le gamin", rescapé de beaucoup de douleur après la perte de son meilleur ami. Là, il vit, il découvre des choses puis le voilà qui doit suivre Jens le Postier. Celui-là s'est donné comme défi de livrer des colis à des endroits impossibles à traverser en ce temps de l'année. Faudra marcher, grimper des montagnes et traverser des bras de mer, des fjords. Le gamin, qui connaît la mer, ira avec celui qui connaît la terre. Ils marchent. Parlent peu, le vent et les souvenirs le font à leur place. Puis ils marchent encore, font des rencontres, et quelques mots s'ajoutent, de rares mots, comme autant de gouttes d'eau dans un désert. Quelques espoirs se pointent, quelques histoires se racontent par bribes, mais encore, il faut marcher, et le temps, ça ne s'arrange pas. La tempête ne s'arrêtera pas, alors il faut non seulement se rendre, mais aussi survivre. Détracteurs de tout ce qui est sous 0C, de gel et de froidure: s'abstenir.

Or le livre avance, eux aussi. Leur but n'est toujours pas atteint et le livre achève. Qu'arrivera-t-il? Ça se terminera comment? Alors on perd le souffle, Littéralement. Pendant trois ou quatre pages Puis on rebondit, et puis... à vous de voir.

Je m'y connais peu en poésie, voir presque pas. C'est un genre qui me rejoint peu. En fait peut-être que j'aimerais, qui sait, mais bon, je n'ose pas. Jon Kalman Stefansson est-il poète? Je ne sais pas. Mais s'il en parle, lorsqu'il l'évoque la poésie, s'il l'effleure seulement, on y croit, on en veut, on se dit qu'on a manqué quelque chose. C'est ainsi que la neige devient la tristesse des anges, que des montagnes de roche chantent sous le regard d'un postier taciturne. Ce ne sont pas là des actions, ou, devrais-je dire, des métaphores à la con. Non. Ce sont simplement des façons de dire les choses, une façon de décrire. L'écriture de Stefansson a quelque chose de grand, de fort et de silencieux. C'est le Nord écarlate, la vie contre la mort, le doux en opposition au dur. Les personnages et l'environnement sont rustres, la vie y est dure mais autour et à travers ça, il y a des mots qui passent justement comme des anges. Des mots de la tête et du coeur, mélangés, ça donne des maladresses rendues belles, de petits désirs rendus gros comme des péchés mortels, et des personnages simples et reclus encore plus grand et forts que tout ce qu'ils affrontent. On lit, on lit, et on ne veut pas que ça se termine.

Ne pas oublier de mentionner la traduction d'Éric Boury. Les mots choisis sont trop beaux pour ne pas être salués. En fait, on lit trop de mauvaises traductions. Un tel livre nous fait nous en rendre compte. Je ne sais rien de la langue islandaise, mais je perçois le plus clairement du monde la qualité tant de la langue que de l'esprit en lisant un tel texte. Traduire une langue avec aussi peu de locuteurs que l'islandais est pour moi une oeuvre au moins aussi grande que celle d'écrire une telle histoire dans quelque langue que ce soit. Bravo, donc, tant à l'auteur qu'à son traducteur.


Anecdote pour qui lira La tristesse des anges: j'ai terminé ce livre en début de soirée. Bien sur, ça m'a suivi. Je me suis couché et dans la nuit, une forte tempête de vent m'a empêché de dormir. Je me suis éveillé en pleine nuit avec en tête les dernières scènes de La tristesse des anges. C'était un mauvais rêve éveillé, le vent était vrai, ma peur aussi, mais les images que j'avais en tête, ça, je ne savais plus trop. Depuis, j'ai commencé un autre livre qui, jusqu'ici, se passe en Floride. Et pourtant j'ai encore la tête dans l'Islande d'un hiver du 19e siècle. C'est comme un long fondu enchaîné de deux couleurs pas tellement complémentaires. Quelle drôle d'impression.

Jon Karlman Stefansson, donc, notez le nom. Pour le plaisir de lire quelque chose qui, si vous embarquez, vous portera longtemps. C'est beau, je vous l'assure.

Incontournable.

3 commentaires:

Jérôme a dit…

Un roman magnifique et envoutant. Superbe. Mon avis ici : http://litterature-a-blog.blogspot.com/2012/01/la-tristesse-des-anges.html

zigzag a dit…

Comme je te suis ici... Je suis partie en Islande à cause d'"Entre Ciel et Terre"... Ce livre, cette poésie a quelque peu changé ma vie... (et c'est peut-être trop... "trop" de dire cela, mais je ne crois pas!)

http://aquandlateleportationbonsang.blogspot.com/2011/07/bibliographie-islandaise.html

Alain a dit…

Deux commentaires fort réjouissants. Merci pour les liens, je vous suivrai avec plaisir! Et merci zigzag pour la bibliographie islandaise. Fameux!