lundi 22 décembre 2008

Courir, par Jean Échenoz, Les éditions de minuit


On connaît tous quelqu'un dans notre entourage qui raconte la moindre petite anecdote comme si c'était un moment historique. On écoute ces gens sans se faire distraire et les sujets les plus anodins deviennent ensuite des choses qu'on racontera à d'autres. Jean Échenoz est sans doute un de ceux-là. Ses livres sont souvent courts, bien ficelés comme un petit bagage utile. Échenoz raconte comme s'il était là, devant vous. Il écrit comme il nous parlerait avec des "Oh mais vous savez, il sait quoi faire en ces cas-là" ou des "Regardez-le qui s'en va lui parler". Échenoz commente plus qu'il n'écrit, il rapporte. Avec lui, un illuste inconnu devient superbe. Depuis que je l'ai découvert avec "Ravel", un trésor tout petit où il raconte le compositeur dans les dernières années de sa vie, je me suis tapé plusieurs de ses autres ouvrages juste pour savoir que je passerais de bons moments pendant le temps où le livre durerait. Et à chaque fois, je ne me suis pas trompé. Avec "Courir", il raconte Émile Zatopek, une star énorme dans les années '50, en Tchécoslovaquie et dans le milieu de l'athlétisme international. Bon, oui, on s'en tape de l'athlétisme, des coureurs de fond et de l'histoire de la Tchécoslovaquie entre la 2e guerre et les années 60. C'est très petit à côté des nominés aux Oscars et des pérégrinations d'Angelina Jolie. Mais pourtant, avec les mots d'Échenoz, on vit une course comme si on était scotché au petit écran. On suit le coureur jusqu'à la fin, on souhaite qu'il gagne, même si ce n'est pas toujours le cas. Puis on entend la foule qui délire, on est dans le stade, au bord de la piste, on devient fan de Zatopek et s'il chute, on aimerait bien lui tendre les bras et cette unique fois où il pleure, le monde entier nous semble injuste.
Et pourtant, "Courir" se lit sans doute en une soirée. Pas qu'on court en le lisant, non, mais on se laisse prendre, tellement qu'en refermant le livre, on se dit que ça aurait été bien d'avoir un poster de Zatopek dans son bureau.

Échenoz est essentiel au bonheur de lire. C'est du prozac en feuilles. Il se lit bien, partout et n'importe quand. Ne pas connaître Échenoz, c'est presque rater sa vie de lecteur. Alors même si vous ne le connaissez pas encore, commencez donc avec "Courir", et je suis convaincu que pour une fois peut-être, vous trouverez que j'ai raison.

dimanche 14 décembre 2008

Élégie pour un américain, par Siri Hudsvedt, Actes sud


J'avais craqué pour "Tout ce que j'aimais" ("What I Loved") et avec Siri Hudsvedt, pour tout ce que Brooklyn a à offrir. Car Hudsvedt, c'est le Brooklyn de ce siècle, le St-Germain-des-Prés du deuxième millénaire. Avec son mari Auster, et Froer, Krauss, McCann, on dirait que tout ce qui sort de là est touché par l'intelligence. À vous donner envie de trainer dans tous les cafés de Williamsburg pour sentir ce qui les inspire.
"Élégie..." ("The Sorrows of an Americain") est empreint de la même sensibilité, avec une histoire bien de son temps, du nôtre en fait, et peut-être un peu trop... Ici, l'auteure raconte à la première personne, et le narrateur est un homme. J'sais pas, c'est peut-être gros ce que je dis là, mais une femme qui raconte au nom d'un homme, ça se sent. Le personnage principal a tout du mec rose, intellectuel à souhait, gentil, très intérieur mais aussi et surtout... c'est un psy. Tout est là en fait. Je n'ai pas compté combien de rêves sont racontés dans ce roman. Constamment, le personnage principal réfère à ses patients, ses thérapies. Oui, ça frôle le cliché et on pourrait croire que c'est dommage mais pourtant, si on s'y arrête bien, on y perçoit l'intelligence fine de Siri Hudsvedt. En utilisant le cliché du psy, elle entre dans ce qu'elle dénonce: le conservatisme, le pragmatisme religieux du Mid-West. Car en fait, les psys n'ont-ils pas remplacé les curés en bonne partie? Ne leur donne-t-on pas le bon dieu sans confession (sans jeu de mot...) à tout propos, sans remettre en question leur omniscience? En terminant ce livre, on se pose toutes ces questions. L'histoire est simple, les personnages aussi. Ils nous ressemblent dans leurs tortures mentales, leurs remords, leurs idées préconçues. Très Américain? Peut-être. Ou Occidental, mais assurément cérébral, beau et lent.
Pas aussi enveloppant que "What I loved", mais essentiel à la littérature américaine. Pour une tranche de vie de bourgeois gauchistes de Brooklyn, pour une réflexion très à propos sur la société américaine, mais pas pour l'action ou l'émotion à fleur de peau. Ah oui, à souligner la traduction sans faille de Christine Leboeuf, celle-là même qui traduit aussi Paul Auster.
Quand même, pour qui aime: à lire.