vendredi 28 décembre 2007

Big Bang, par Neil Smith, Les Allusifs


Il doit être difficile de recevoir les critiques de qui a lu son recueil de nouvelles. C'est ce que j'imagine pour Neil Smith. À chaque fois, on doit lui dire quelque chose comme : "Moi j'ai préféré celle-là mais moins celle-ci", et ce décliné dans toutes les formulations possibles. Donc, au bout du compte, l'auteur pourtant fier de toutes ses histoires doit vivre, à chaque personne rencontrée, une petite déception. Celui-ci n'en mérite pourtant pas. Big bang est sans doute un des meilleurs recueuils de nouvelles que j'ai lus. Si personnages et contextes ont parfois l'air un peu "têtes en l'air", n'en reste pas moins, à chaque fois, une émotion très profonde lorsqu'on termine chacune des histoires. J'ai été ému face à une amitié qui ressemble à de l'amour, retourné par la sagesse d'une fillette trop précoce, tétanisé par l'aboutissement d'une grossesse engendrée sans amour, renversé par la narration que des objets font de leurs propriétaires.

Les thèmes abordés par Neil Smith sont aussi frais que son écriture. Tout ici est nouveau, et si rien n'est fantastique, rien non plus n'est commun. Bien entendu, on ne sort pas de chaque nouvelle sous le même effet, mais jamais n'a-t-on l'impression d'avoir lu du "remplissage". Nous faisons ici face à un auteur intelligent, sagace et très fin observateur de la faune et de la flore humaine avec une écriture qu'on dirait aussi contemplative qu'hyperactive.

Vivement un prochain album de Neil Smith, ne serait-ce que pour voir, cette prochaine fois, où il nous emmenera. Et à qui ne serait pas encore tenté de lire tout Big Bang (qui n'est pourtant pas bien long), je lui proposerais de ne lire que la première nouvelle, Incubateurs, pour comprendre qu'on assiste effectivement ici à l'arrivée d'un écrivain majeur, à Montréal.

dimanche 16 décembre 2007

Quand les cons sont des braves, par Martin Petit, VLB


Si je me suis tapé un essai c'est qu'il revêtait un caractère particulier: celui-là a été écrit par mon cousin. Martin, ce joyeux luron, très "Petit" par son éloquence, un brin baveux mais pas méchant, s'est enrôlé dans l'armée à 19 ans. Puis advint ce qu'il est devenu. la dernière fois où je l'ai vu, c'était au Jour de l'an il y a 4 ou 5 ans. Il se tenait dans son coin, coit, quiet, souriait et c'était à peu près tout. Ce changement, il le raconte dans "Quand les cons sont des braves". J'ai hésité avant de le lire. Je savais, pour avoir entendu Martin en entrevue lors de la sortie de son livre, qu'il s'agissait d'abord pour lui d'une thérapie puisque victime du syndrôme post-traumatique. Aussi j'ai eu peur de vivre ses tristes états d'âmes, de parcourir un recueuil d'impressions. Si tel est le cas, c'est fort bien fait et très à propos. Dans ce livre, Martin raconte, mais aussi explique. Son parcours qui l'a mené des Balkans au Koweit en passant par la Somalie se lit comme un livre d'aventures. À chaque nouvelle destination, il prend la peine d'expliquer le conflit, son envergure, sa petite histoire. Et s'il parle de niveaux hiérarchiques de l'armée ou d'exercices particulier, il les explique aussi. Et très bien. Comme un cousin l'expliquerait à un autre, devant un verre, avec attention.

Ce livre, on le termine un peu défait, mais instruit car il a la très rare capacité de susciter la pensée et très certainement les discussions, à en juger par la grande couverture médiatique dont il a jouit. Cet essai présente le destin d'un gars intelligent qui s'est retrouvé au mauvais endroit, et nous fait nous rendre contre de l'incongruité de l'armée canadienne, qui à tout prendre n'a que peu ou pas de raisons d'exister. Il nous fait réaliser que quiconque s'y enrôle ne le fait sans aucun doute à peu près jamais pour la "cause" mais plutôt parce qu'il y trouve une quelconque façon de continuer une vie au parcours jusqu'ici erratique.

Et viennent les abus, les humiliations, les injustices, bref, tout ce qui va avec un milieu où la hiérarchie prend le pas. "Au plus fort la poche", à la merci des power trips.

Pour avoir écrit ça, Martin a eu un cran du tonerre. Du cran pour parler ouvertement de choses qui ne se disent pas lorsqu'à l'intérieur de l'armée, du cran pour dire que oui, il s'agit bel et bien d'une institution qui n'a rien à cirer des "deux peuples fondateurs", aux détriments de celui qu'on sait, du cran, même, pour avouer avoir passé du temps à lire, oui, à lire parce que bien que mal vu, c'était là où il trouvait une certaine évasion.

Quand les cons sont des braves est à la portée de tous. En fait, au moins un membre de chaque famille devrait se le taper, histoire de passer le message aux autres: le meilleur don qu'on puisse avoir est celui de la liberté. Martin en dispose, et très bien. Puisse ses autres histoires être à sa mesure: brillantes et intéressantes.

J'ai vraiment très hâte de te revoir, Martin.

mardi 4 décembre 2007

Dawson Kid, par Simon Girard, Boreal


Après les 20 premières pages de Dawson Kid, je me suis dit: "Ah non, pas encore un livre que je vais lire à reculons, page par page, péniblement!" La misère dont est issu le personnage autour duquel tourne ce roman me titillait, et qui plus est, le monde de la boxe où on se retrouve après un certain temps ne me disait rien du tout. Je n'y connaissais rien, ça ne m'intéressait pas. Puis j'ai lu ce roman dans le bus et en métro, debout, mal assis, jusqu'à me rendre compte que j'avais hâte de retourner me faire transporter pour le continuer. Ce livre est inconfortable. Le personnage de Rose est une fille de 20 ans, ancienne danseuse au lourd passé qu'on devine à force de réflexions sur un certain désir de mourir. Elle parle des "heureux", ceux qui promènent leurs chiens tranquillement et qui dorment paisiblement, et elle, elle a envie de frapper. Et pourtant, la violence est ici dans la tête du personnage, rien de plus. Si Rose provoque la violence, on ne lui en veut pas. Quel personnage en fait! On se demande où un gars comme Simon Girard a bien pu la pêcher, comment il a pu inventer quelqu'un d'aussi atypique.

Je dirai de Dawson Kid que ce n'est pas un livre facile. Bien écrit, j'ai cru parfois y déceler un style qui ressemble à celui de Gaétan soucy, mais non. Simon Girard a développé son écriture à lui, tortueuse comme son personnage, mais belle comme on l'imagine, elle. Le tour de force réside aussi dans les analogies de cette histoire où la boxe permet à quelqu'un de s'extirper d'un monde violent et où l'expérience de la mort redonne le goût de vivre.

Dire qu'il s'agit d'un livre coup de poing serait trop facile. Dawson Kid est plutôt un livre dérangeant, inconfortable et beau comme un sentiment humain. Un livre à lire debout.

dimanche 25 novembre 2007

La soeur de Judith, par Lise Tremblay, Boréal


La première chose dont je me suis aperçue, en lisant La Soeur de Judith de Lise Tremblay, c'était que je l'avais terminé. Je l'ai lu comme on reçoit un coup de téléphone de quelqu'un à qui on n'a pas parlé depuis longtemps, allongé sur un divan, attentif au maximum.

Lise Tremblay a donné la parole à une petite fille de 12 ou 13 ans qui raconte sa vie, ses gens, ses peurs. On aurait pu croire à une formule "journal personnel" mais non, c'est plus que ça. Il s'agit ici d'une parfaite maîtrise de l'art de la conversation par écrit. Et pourtant aucun dialogue dans ce livre. Que de la narration, la vision extra-lucide d'une petite ville des années '60. La génération des parents qui découvrait la vie en ville, celle des enfants qui, les premiers, y étaient plongés à la naissance. Cette époque a sans doute été celle du plus grand fossé des générations qui ait été au Québec, et ça se sent.

Ces gens ne veulent pas avoir d'histoires, et pourtant, la belle affaire, ils en ont eu une, une histoire, et toute une. Si on les trouve colorés, c'est qu'on ne les a pas connus. Ils sont vrais, aussi vrais que ce qu'on est, Québécois des années 2000 avec un passé comme celui-là. Si j'ai souris parfois, c'était que je reconnaissais les endroits, mais aussi les gens, leur façon de faire, et leur obsession de toujours avoir à composer avec "ce que pensent les autres", cette peur constante de "ne pas avoir l'air fou", d'éprouver de la honte à presque chaque jour, de ne pas comprendre que le temps avance plutôt qu'il ne recule.

Qui ne connaît pas le parc de la Colline, la fontaine de l'église Ste-Anne ou cette autre peur obesssionnelle de "tomber dans le Saguenay" trouvera facilement des analogies avec son passé de Québécois à lui. Lise Tremblay a sû écrire juste, sans fioritures, un tableau hyper-réaliste d'une époque troublée. C'est beau et simple. Et si on se sent parfois un peu voyeur, la gêne qu'on ressent évoque des malaises déjà ressentis. On est loin ici des personnages d'un Michel Tremblay, par exemple. Et pourtant, on ne peut qu'évoquer ce dernier au souvenir de La soeur de Judith. En fait, ce dernier bouquin de Lise Tremblay, c'est la revanche saguenéenne des Chroniques du Plateau Mont-Royal, mais en encore plus vrai.

Que les personnages aient existés ou pas, je ne saurais dire. Mais je peux vous affirmer que les lieux et même certaines gens qui tapissent le décor du Chicoutimi-Nord des années '60, eux, ont réellement existés: elle y parle, à un moment donné... de mon grand-père (!) dont les vaches vont broutter sur les beaux gazons des nouvelles maisons! Et le directeur de la polyvalente, M. Lecours, était lui le patron de... ma mère.

Bravo mille fois, Lise Tremblay, vous êtes (trop?) facilement venue me chercher.

dimanche 18 novembre 2007

Zoli, par Colum McCann, Belfond


Ouais, ça fait longtemps. C'est que je viens de me sortir de Zoli, de Colum McCann... de peine et de misère. Qu'est-ce que je suis déçu. Et pourtant, comme j'aimais McCann! Dans Les saisons de la nuit, il y avait là une des scènes qui m'ait le plus profondément retourné, celle où une une femme mariée à un Noir, au début du 20e siècle, reçoit la visite à l'improviste de son enfant métis à l'usine où elle travaille et pour garder son emploi et éviter les bavardages... elle doit le renier devant tout le monde, faire comme si elle ne le connaissait pas. Le petit bonhomme avait 9 ou 10 ans, McCann nous plongeait dans sa tête, dans son désarroi. C'était ça McCann, une écriture très forte, des images précises, des mots sans fioritures, des histoires prenantes, tout comme Danseur, où il racontait la vie de Rudolf Noureyev à sa façon romancée.

En fait, le mec doit aimer les victimes, les rejetés du système, comme dans ses deux précédents livres que j'ai lus. Zoli la gitane est de ceux-là. Mais à force de rejet et d'interminables marches dans les bois sans manger, sans boire, à se trainer aux 3/4 du livre de peines en misères... j'ai décroché. Je crains, pour McCann, l'attrait pour les scénarios "à l'américaine", dignes d'être portés à l'écran. Et pourtant c'est bien écrit, le personnage est attachant, mais non... c'était trop. Tant de misères m'ont laissé une désagréable impression de mélodrame et malgré d'autres belles images, comme il sait les créer, Zoli n'est pas allé chercher ma compassion. Vraiment, je suis extrêmement déçu, et j'attendrai son prochain bouquin avec encore plus de hâte qu'à l'habitude, juste pour savoir si ce dernier ouvrage était une exception dans l'oeuvre de l'écrivain.

Bref, pas mauvais, mais décevant. Trop. Juste trop.

J'arrive d'une autre razzia chez mon libraire. Les semaines à venir seront québécoises. Je passerai d'abord par La soeur de Judith de Lise Tremblay. L'histoire qui se déroule dans le Chicoutimi-Nord des années '60, bref là où, géographiquement et temporellement, je suis né. J'vous dis pas combien mes attentes sont grandes. Suivra Dawson Kid de Simon Girard. Un premier roman: toujours tentant!

Merci pour les quelques commentaires reçus, d'autant plus qu'ils proviennent de boulimiques de lecture. J'adore.

dimanche 21 octobre 2007

Mauricio ou les élections sentimentales
par Eduardo Mendoza
Seuil


Bon. Je viens de relire mes deux “articles” précédents. Il manque des mots, c’est écrit tout croche et ça sent la naïveté du débutant. Intéressant. Je devrais me relire avant de publier mais eh, le plaisir du blogue est d’en faire ce qu’on veut comme on le veut, non? Au diable le perfectionnisme. Pour autant que j’aie du plaisir à lire, j’aurai toujours le même plaisir à mettre ce site à jour, peu importe comment c’est écrit.

J’ai découvert Eduardo Mendoza avec La ville des Prodiges, et avec lui, le Barcelone d’entre deux expositions universelles (1888 ou à peu près, jusqu’à 1929). Sans tenir dans la fresque historique, ça tenait du livre à grands déploiements, comme on pourrait le dire d’un film. C’était action par-dessus action avec des personnages autant acteurs que victimes. Puis vinrent les frasques de son personnage sans nom, genre d’Hercule Poirot trash sauce espagnole dont les histoires rocambolesques me ramenaient littéralement à du Almodovar version romans. Il y avait Le labyrinthe aux olives, Le mystère de la crypte ensorcelée et surtout L’artiste des dames ou les situations invraisemblables et loufoques à souhait me faisaient lâcher de grands éclats de rire en le lisant. Pour moi, Mendoza, c’est l’auberge espagnole incarnée en romancier, mais attention, l’expression est peut-être mal choisie parce que le bonhomme est Catalan et à peu près tous ses bouquins ont Barcelone pour cadre. Or, Mendoza devient encore plus intéressant lorsqu’on apprend qu’il rédige ses ouvrages en espagnol et non en catalan, ce qui le fait soulever la polémique et les débats dans sa Catalogne natale. Quoi, le gars se dit Catalan et il écrit dans “une autre langue”? Pourquoi pas. Que voici un débat digne des petits peuples comme le Québec où la forme prend plus d’importance que le fond, ce qui rend le message véhiculé par l’auteur complètement mis de côté. L’immportant, pour les petits peuples, c’est de ne pas avoir l’air fou. Et pourtant... celui qui l’dit est trop souvent celui qui l’est.

Mauricio... se déroule dans le Barcelone des années ‘80. En fait, c’est très années ‘80 comme environnement. En toile de fond, la candidature de la ville pour les jeux olympiques. On ne sait pas encore s’ils seront accordés à Barcelone, d’où les débats des personnages sur la question. Faut aussi souligner que l’Espagne sortait alors de l’époque franquiste. Le pays se découvrait une nouvelle liberté et si tout y était alors possible, les désillusions commençaient déjà à se pointer. Comme quoi l’histoire se répète, on dirait le Québec des années ‘60 ou l’Europe de l’Est des années 2000.

Mauricio est un dentiste qui subit les événement plus qu’il ne les provoque, et deux histoires d’amours successives, voir entrelacées lui feront vivre à peu près les mêmes questionnements que tout un pays, en l’occurrence, l’Espagne. S’engager ou pas? Choisir quel côté? Changer sa vie ou pas? Le traitement est brillant et s’il ne soulève pas l’hilarité comme dans ses livres précédents, Mauricio... reste truffé de répliques tordues et ironiques qui ne peuvent que nous faire sourire très fort.
Il faut peut-être être Espagnol ou Catalan pour relever toutes les subtilités du livre, aussi avais-je parfois l’impression d’être spectateur d’une pièce qui n’avait pas été montée pour moi. Reste que l’écriture limpide et la subtilité des commentaires de Mendoza sur le monde, les gens et leurs travers m’ont encore fait passer un bon moment. Mauricio ou les élections sentimentales n’est pas le meilleur livre pour découvrir Eduardo Mendoza. Pour ça, je recommendrais plutôt les titres cités plus haut. Mais pour qui aime la dérision intelligente, Barcelone et l’humour fin, ce livre permet de passer du bon temps.

Voilà. Mon prochain bouquin sera celui d’un auteur que j’aime au moins autant que Mendoza. De l’Espagne, je passe à l’Irlande avec Calum McCann, quoi qu’aucun de ses bouquins ne se soit jusqu’ici déroulé dans son pays d’origine. Zoli promet déjà de tirer fort. D’ici là, c’est possible que j’me décide entre-temps de parler d’un bouquin que j’ai lu antérieurement. C’est aussi possible que je change d’idée. C’est donc inévitable que je reste moi-même.

lundi 8 octobre 2007

Cette histoire-là 
par Alessandro Barrico
Gallimard



C’est un très heureux hasard qui me fait commencer par un de mes auteurs favoris. J’ai récemment terminé son dernier ouvrage, Cette histoire-là.

J’ai découvert Barrico avec Soie. Le titre avait connu beaucoup de succès, j’étais donc septique, voir méfiant. Je ne sais ce qui m’a fait me le procurer, sans doute la recommandation d’une personne de mon entourage. Je me rappelle l’avoir parcouru “à dos de chameau”, au rythme lent de l’envouté. Rarement je n’avais perçu une telle sensibilité. Ce mec-là est assurément un contemplatif, un amoureux de sa langue dont la tête doit contenir une quantité infinie d’images superposées. J’ai terminé Soie dans l’autobus, entre le travail et la maison. Il m’avait eu. Jamais n’avais-je soupçonné que les lettres du Japon étaient écrites par Hélène. Je découvris ça assis à l’arrière du bus, entre deux quidams avec plein de gens debout en face de moi. J’avais certainement l’air de qui s’apprêtait à vivre une sérieuse crise d’asthme. Je manquais de souffle et l’oeil qui luisait.
J’ai ensuite vogué sur Océan Mer, dans cette maison du bord de mer avec ses personnages un peu fous, mais contenant chacun une part d’éternité, de vérité propres à chacun, et ensuite Les châteaux de la colère et cette histoire de l’aboutissement d’une belle parce qu’inutile utopie.

Pour moi, Barrico était un romantique inspiré, intelligent, poétique jusqu’à City où j’ai découvert la même sensibilité, mais drôle, cynique et souvent hilarante. J’étais agréablement surpris. De même, Sans sang, puis Homère, Illiade me frappèrent par leur ruelle dureté, avec des scènes si violentes qu’elles exigeaient une pause, histoire de reprendre mon souffle. Mais toujours, malgré l’horreur, ces alignements de mots qui glissaient si bien, que je n’ai jamais relus que pour le seul plaisir de les relire.

Je m’attend donc à être déçu de Barrico. Ça me semble évident. Rares sont les auteurs dont j’ai tout aimé à ce point. Et pourtant...

Lorsque je me suis procuré Cette histoire-là, j’étais à quelques jours de mes vacances. je me choisissais des trucs pour les vacances, le train, les bancs de parc de New York. Or c’était la “rentrée”, début septembre, et je tombai sur trois de mes auteurs préférés, plaisr inespéré. J’ai tout acheté compulsivement, Barrico, mais aussi Colum McCann avec Zoli, qui suivra bientôt Eduardo Mendoza avec Mauricio ou les élections sentimentales, que je lis présentement.

J’ai commencé Cette histoire-là dans l’interminable train qui m’a mené de Montréal à New York. Dès les premières pages, je me suis laissé embarquer par ces tableaux du nord italien du début du 20e siècle où un père visionnaire raconte l’arrivée imminente de l’automobile dans l’Histoire à son fils unique. Or, ce dernier en aura particulièrement pour les routes. Barrico en décrira les courbes fines avec le souci du détail du peintre. Les courbes d’un monticule, d’un vallon, des épaules d’une femme, toutes seront prétexte à l’élan du petit bonhomme vers une obsession qui le suivra toute sa vie durant.

La deuxième partie du livre déstabilise. Les images de la Première Guerre détonnent un peu, à prime abord, puis, à force, on comprend, jusqu’à sortir de la guerre avec le personnage principal et comprendre comment il viendra au bout de son rêve.
Pour moi, Barrico est d’abord un conteur. Ses histoires tiennent des fables dont la seule morale tient dans l’accomplissement d’un destin inévitable, Pas de morale ici, juste des désirs, des envies, des façons de vivre, mais toutes décrites lentement, avec goût, comme ce passage ou le jeune demi-frère du personnage principal prendra la parole. On comprend ce personnage par sa façon d’écrire, sans description, rien. Juste à le lire on comprend sa détresse, mais aussi sa perception, juste et tellement belle, du rêve de son grand frère. Ce passage-là est assurément le plus beau. On le constate lorsqu’on le termine.

Je recommanderais Cette histoire-là à qui n’a encore rien lu de Barrico, à quelqu’un désireux de développer son côté contemplatif tout en lisant une bonne histoire qui le fera autant sourire que pleurer un peu, peut-être, si comme moi, il se laisse emporter.

Je connais peu Barrico, l’auteur. En fait je lis peu sur les auteurs eux-mêmes. Ça a quelque chose de biographique, d’un peu voyeur qui ne m’intéresse pas. Mais lorsque je parviens à percevoir une âme au fond des mots, comme avec lui, je me plais à rêver de prendre un café avec le mec en question, juste pour qu’il me raconte comment lui viennent ses histoires. Un café avec Barrico serait, j’en suis convaincu, passionnant.

Introduction



Je sais pas pour vous, mais pour moi, le Père Noël arrivait en hélicoptère sur le toit du Dominion de Place du Saguenay, à Chicoutimi. C’était vers la mi-novembre, pendant cette saison sans personnalité où le froid précède la neige et gèle avec lui toute occasion de divertissement. Aussi cette arrivée relevait-elle de l’expérience mystique à tendance hystérique la plus pure. Je parle ici du début des années ‘70, un temps où on découvrait encore que les façons d’être heureux pouvaient provenir d’ailleurs que de notre communauté proche ou notre cocon familial.
Ma mémoire ne me permet pas de me souvenir des conversations, des couleurs, de la quantité de gens, mais je ressens encore la foule animée, grouillante, debout sur le stationnement. Tous faisaient face au centre d’achat où rien ne se passait jusqu’à ce qu’on l’entende. L’hélicoptère. Fallait trouver d’où provenait le bourdonnement. Il remontait le boulevard Talbot depuis le centre-ville et venait nous assourdir en se posant sur le Dominion.
Puis le Père Noël sortait. Elvis et les Beatles n’étaient rien à côté de ça, que de petites pierres qui roulaient sous les chaussures, ailleurs. Il était là, le vrai, inaccessible mais si près. Il nous faisait des bye-bye et de son gros sac rouge, il sortait des bonbons, plus souvent des tires de la Ste-Catherine, qu’il lançait dans la foule comme on nourrit des oiseaux. Alors c’était l’affolement, on se tirait les uns sur les autres pour ramasser des bonbons. Je me souviens de ma mère les bras en l’air essayant d’en attraper. Ça avait quelque chose de violent et de sublime en même temps. Je devais frôler le seuil de l’évanouissement tellement j’étais énervé. Puis il remontait dans l’hélico après nous avoir peut-être dit quelque chose avec un porte-voix, je ne sais trop, et il disparaissait pour aller s’installer en face du Simpson-Sears ou chez Gagnon & Frères, sur la rue Racine. J’y pense encore, là, et j’ai le coeur qui a tendance à s’emballer.
Je raconte ça parce que c’est exactement comme ça que je me sens du moment où je vais bouquiner jusqu’à celui où j’ouvre mon livre pour la première fois. Je ressens l’excitation de qui vivra une nouvelle histoire, de celui qui partira en voyage. Je n’exagère pas. Vous comprendrez peut-être déjà que je ne lis que des romans. Les quelques essais que j’ai acheté au cours des dernières années m’ont plus souvent ennuyé, sauf exceptions. Pour moi, le roman représente l’évasion, et s’il est bien écrit, que les mots s’y alignent comme sur une musique que j’aime, j’embarque d’autant plus.
Je nage allègrement dans la littérature française et étrangère. Je fais ici abstraction de la littérature “populaire” américaine, celle publiée en “paper-back edition” dont toutes les histoires se ressemblent, écrites pour séduite les producteurs de films à gros budgets. Les John Grisham, John Irving et compagnie sont pour moi insipides et ennuyants, sans style particulier qui ne les distinguent. J’aime pas.
Les grands succès populaires du style Da Vinci Code ou Harry Potter soulèvent ma méfiance. Je me les procure rarement. Je revendique le droit à questionner les succès populaires, autant en littérature qu’en cinéma ou en musique. Je considère que la société de modèle américain a tendance à tout niveler par le bas, laissant paraître des sentiments aussi gros et lourds, sans finition, qu’un gros Big Mac, si on le compare avec n’importe quel autre type de nourriture. Ainsi en est-il de la littérature. Je n’ose pas croire que Da Vinci Code soit un bouquin écrit avec finesse par quelqu’un dont on sent qu’il écrit parce que telle est sa vie, qu’il est né pour ça. Des écrivains écrivent naturellement comme d’autres chantent ou jouent du piano. Et ça se sent. C’est ce que j’aime découvrir ou retrouver lorsque je tombe dans un autre ouvrage d’un auteur qui m’a déjà transporté loin dans son imaginaire. Attention, je ne parle pas ici de science fiction ou de fantasy, mais d’histoires, tout simplement. Peu importe le temps ou l’endroit, du moment qu’elles me soulèvent, qu’on me permette d’en créer le décor et imaginer les visages des personnages, moi j’embarque.
Les Français, bien entendu, par la quantité, et souvent par la richesse de leur écriture, ont ma préférence. Plusieurs Québécois s’inscrivent aussi dans ce club, et nombre d’étrangers, tous bien traduits.
Mon aversion pour les best-sellers ne m’empêche quand même pas de me procurer de gros vendeurs de temps en temps. En fait, je ne choisis pas un livre en fonction de son succès, bien qu’une bonne critique dans un journal ou à la radio attirera facilement mon attention. Amateurs de littérature américaine, ne le prenez pas mal. J’ai mes favoris q ui proviennent de ce pays. Les Auster, DeLillo, Easton-Ellis et consorts sont pour moi des équivalents à plusieurs qui proviennent d’ailleurs. Incontournables, même. je les lis la plupart du temps en français, quoi qu’un bouquin en anglais peut parfois passer entre mes mains.
Je n’ai pas de télé, c’est par choix et intérêt personnel et non par snobisme. Ce médium m’ennuie et me frustre. Je n’aime pas me faire imposer un choix d’images. J’aime pouvoir assimiler une partie de l’histoire en l’arrêtant un peu, me faire mes propres décors. Et l’information produite par la télé me semble si simpliste que je n’ose croire que la majorité de la population se laisse berner par des analyses aussi pauvres dans le seul but de se “divertir”. Je ne crois pas que de bouffer des propos frôlant la propagande commerciale soit un divertissement. Je crois plutôt qu’il s’agisse d’une forme d’enrôlement volontaire aux principes de base de la société de consommation.
M’enfin, bon... Ce blog comportera non seulement mes idées sur les livres que je viens de lire, mais sur ceux qui ont fait ce que je suis, ceux qui ont forgé mes goûts. Je ne me permettrai aucune censure, ni dans le dégoût, ni dans la dithyrambe. Je suis habituellement un bon public et avec le temps, mes choix comportent plus de valeurs sûres que de sauts dans le vide. J’en profiterai certainement pour pousser certains parallèles avec l’actualité ou certains faits de société suggérés par une lecture ou une autre. Ainsi va la littérature qu’elle puise toujours dans une part de réalité, soit-elle actuelle, future ou historique.
Reste la musique. J’en parle ici parce qu’elle prend elle aussi une grande part de ma vie. Or, je ne me considère pas comme suffisamment connaisseur de tous les styles pour pouvoir me permettre d’en faire la critique ouvertement sur la place publique. N’empêche que de glisser certains coup de coeurs sera tentant, surtout si l’on considère que certains livres deviennent, au fil des pages, prétextes à écouter un certain type de musique, en fond sonore. Je me souviens même de certaines scènes de livres qui se sont exacerbées à ma mémoire grâce à l’ambiance musicale qui m’entourait alors.
Je n’ai pas tout lu, oh que non, et jamais ne pourrai prétendre tout connaître de tous ceux qui écrivent. Mais j’affirme sans honte que j’aime suffisamment lire pour me permettre de comparer plusieurs ouvrages les uns aux autres. Je vis dans une société où lire n’a pas la cote. On vous taxe trop vite, au Québec, d’intellectuel, qualité honnie à l’échelle américaine, ou de snob, autre qualification que je crois issue d’un sentiment de frustration et de pauvre confiance en soi. Quoi qu’il en soit, je ne lis que pour moi et me retiens généralement d’étaler mes lecture à qui n’en a rien à foutre. Que ce ce blog soit prétexte à partager ce qui, de loin, me rend le plus heureux: mes livres.